Après les réactions de certains partis politiques ; des organisations de la société civile et des acteurs du mouvement démocratique ; le Syndicat autonome de magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLIMA) réagissent sur l’avant-projet de nouvelle constitution remis au Président de la Transition. Dans un document co-signé par les deux syndicats du secteur, rendu public hier jeudi, ils analysent, critiquent et formulent des recommandations pour l’amélioration du document. En l’état actuel, le SAM et le SYLIMA affirment qu’ils ‘’ne se reconnaissent guère dans cette entreprise annoncée de liquidation des acquis démocratiques dans notre pays’’.

Pour le SAM et le SYLIMA, l’avant-projet de nouvelle constitution remis au Président de la transition propose des changements, voire une véritable défiguration de l’institution judiciaire dans notre pays.
‘’Cette situation impose une réaction du monde judiciaire à travers les organisations professionnelles, celles-ci étant investies de la mission de défense des intérêts matériels et moraux de leurs militants ainsi que de l’institution judiciaire’’, soulignent les deux syndicats.
C’est pourquoi les deux syndicats ont dressé l’inventaire des réformes proposées, formulé des observations et fait des recommandations.
Réformes proposées au titre du pouvoir judiciaire
En effet, l’avant-projet de Constitution proposé annonce, au compte du Pouvoir Judiciaire, les réformes suivantes :
L’ouverture du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour moitié, à des non-magistrats ;
La possibilité pour les citoyens de saisir directement le Conseil Supérieur de Magistrature ;
Le retrait à la magistrature d’un statut autonome ;
L’affirmation de l’indépendance au compte des seuls juges à l’exclusion, semble-t-il, des magistrats du parquet ;
Le souhait de privation du parquet du pouvoir de détention (article 6 in fine de l’avant- projet) ;
La consécration constitutionnelle de la rédaction des décisions de justice ;
La réduction à deux du nombre de magistrats que le Conseil supérieur de la magistrature doit envoyer à la Cour constitutionnelle ;
L’annulation souhaitée par la Cour constitutionnelle en cas de réformation des résultats provisoires de nature à changer la donne s’agissant de l’ordre d’arrivée des candidats.

Les observations
Après l’analyse des réformes proposées au titre du pouvoir judiciaire, le SAM et le SYLIMA font observer à la commission de rédaction de la nouvelle constitution et à l’opinion nationale et internationale que la tendance actuelle dans les sociétés modernes est au renforcement du pouvoir judiciaire qui demeure le contrepouvoir le plus crédible pour assurer l’équilibre dans l’exercice du pouvoir d’État.
« Cela se passe, sous d’autres cieux, par le retrait du Président de la République et du ministre de la Justice de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ou, encore, par la rupture du lien de subordination du Ministère Public (organe véritablement et exclusivement judiciaire) au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux (membre éminent du Pouvoir exécutif). Cela passe, en outre, par le détachement total de la police judiciaire du Ministère de la Sécurité pour la placer, sur le plan fonctionnel, sous l’autorité exclusive du Procureur de la République et sur le plan organique sous l’autorité du Garde des Sceaux », expliquent les deux syndicats de la magistrature.
Ensuite, ils font savoir que toute velléité d’affaiblir l’institution judiciaire participe de la liquidation des acquis démocratiques dans notre pays. Cela sape le caractère républicain de l’État, menace dangereusement la préservation et la sauvegarde des droits et libertés, surtout des citoyens, dont la justice est garante, et compromet la séparation des pouvoirs en ce qu’elle renforce la domination du Pouvoir Exécutif sur l’institution judiciaire.
Également, les syndicats de magistrats regrettent que les réformes proposées annoncent un grave recul de l’État de droit au Mali, en ce qu’elles fragiliseraient délibérément et inopportunément le Pouvoir judiciaire par l’aggravation de son inféodation.
« Est-il besoin de rappeler que l’effritement de la gouvernance, sous la troisième République, est essentiellement tributaire de la prédominance de l’Exécutif sur les autres Pouvoirs et surtout par la caporalisation de la Justice par le Gouvernement ? », s’intéressent les syndicalistes.
Ainsi, à défaut de renforcer davantage le Pouvoir Judiciaire, le SAM et le SYLIMA estiment que le maintien du statu quo éviterait une nouvelle crise dont notre pays qui n’a nullement besoin, en ces moments particulièrement graves où tous doivent œuvrer pour le maintien d’un climat d’apaisement et de confiance indispensable à l’aboutissement sans heurt du processus enclenché.
Enfin, le SAM et le SYLIMA trouvent étonnantes les mesures annoncées, à un moment où il s’agit curieusement de corriger les erreurs du passé. C’est pourquoi, les syndicats de magistrats affirment ‘’se reconnaissent guère dans cette entreprise annoncée de liquidation des acquis démocratiques dans notre pays’’.
Ce n’est pas tout, ils attirent particulièrement l’attention de la Commission chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution sur leurs conséquences négatives certaines, et l’invitent à épargner à notre pays d’être la risée du monde par une réforme constitutionnelle rétrograde.
Recommandations
Le Syndicat autonome de la magistrature et le Syndicat libre de la magistrature s’étonnent des nombreuses confusions enregistrées dans l’avant-projet constitution du fait, qualifient-ils, du mépris affiché pour les techniques d’édiction de la norme constitutionnelle.
Selon eux, ces techniques sont différentes de celles législatives.
Pour améliorer le contenu du document, le SAM et le SYLMA recommandent entre autres :
Que des mesures relevant du seul domaine des lois (organiques et ordinaires) ne soient pas consacrées par la Constitution dont la rigidité pourrait exposer notre pays à de nouvelles instabilités institutionnelles certaines ;
Que l’article 64 de l’Avant-projet de Constitution attribuant la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature au Président de la République sorte du Titre III consacré au Pouvoir exécutif et soit logé dans le Titre V dédié au Pouvoir judiciaire : (si l’assemblée estime nécessaire le maintien du statu quo, à savoir le maintien du Président de la République et du Garde des Sceaux à la tête du CSM).
De même, le SAM et le SYLMA exigent l’affirmation, de façon non équivoque, du caractère autonome du statut de la Magistrature dans la nouvelle Constitution.
Ils préconisent que l’article 133 relatif à la rédaction des décisions de justice soit biffé de la Constitution, les textes législatifs et réglementaires prenant déjà suffisamment en charge cette question.
Car, pour eux, le CSM et le département de la justice doivent simplement se donner les moyens pour leur mise en œuvre.
Les syndicats préconisent que le terme ‘’juge» soit remplacé par celui de «magistrat dans l’article 134 ; (en effet, tous les magistrats sont indépendants, même si le Parquet, en l’état bénéficie d’une indépendance relative.
Que l’article 138 de l’Avant-Projet de Constitution soit biffé et qu’il soit laissé à la loi organique le soin de déterminer les personnes pouvant saisir le CSM ;
Que l’article 139 de I‘Avant-Projet de Constitution, lui aussi, soit biffé et que la loi organique détermine les membres devant siéger au CSM ainsi que leur qualité.
De l’avis des deux syndicats, le CSM est déjà ouvert au non-magistrat « le Président de la République, le Ministre de la Justice, le Directeur national de la Ponction Publique, le Secrétaire Général du Gouvernement ainsi que les membres de droit qui peuvent ne pas être des magistrats ». Ces derniers pourront simplement être remplacés dans la loi organique par des personnalités extérieures au monde judiciaire.
Par ailleurs, le SAM et le SYLMA exigent que la réformation des résultats, par la Cour constitutionnelle, ne puisse être une cause d’annulation des résultats en cas d’interversion des tendances.
«Il est à éviter, dans notre pays, un cycle infernal d’élections, d’une part, et, de l’autre, que de telles dispositions ne finissent par devenir un fardeau moral pour le juge constitutionnel pour l’amener à s’abstenir de sanctionner certaines dérives avérées. Le coût de l’organisation d’un scrutin est, en effet, non négligeable», précise le communiqué conjoint.

PAR MODIBO KONÉ

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