Plus grognard que le Français, tu deviens Malien. Ils râlent, vitupèrent, déblatèrent, ils fulminent, invectivent, ils stigmatisent, ils vilipendent… Object de leur indignation ? La décision du Chef de l’État voisin du Faso, le Président de la Transition, le Capitaine Ibrahim TRAORE, de garder son salaire de Capitaine en lieu et place de celui de Président.

En effet, ce mercredi le gouvernement burkinabé réuni autour de lui en conseil des ministres a adopté le décret portant rémunération du Chef de l’État, du Premier ministre, des Présidents d’institution et des membres du Gouvernement. En abrogeant le décret d’avril 2022 pris par le Gouvernement Paul-Henri Damiba, le gouvernement burkinabé retourne aux dispositions du décret de 2008. Quelles sont-elles ?

En avril dernier après son coup d’État, le président déchu Paul-Henri Damiba avait pris un décret portant rémunération du Président, des ministres et des présidents d’institutions pour fixer son salaire de 2 826 400 FCFA, celui de son Premier ministre, à 2 782 717 FCFA et ses ministres à plus de 2 millions de francs CFA.
La mesure prise par le capitaine Traoré abroge donc le décret d’avril 2022 et restaure celui de décembre 2008. Que dit ce décret ? Selon ce dernier, le Premier ministre touche 1 308 000FCFA, les présidents d’institutions 1 215 000FCFA, les ministres d’État 1 205 000FCFA et les autres ministres 1 155 000FCFA.
Pourquoi le capitaine-président a-t-il renoncé à un salaire de 1 215 000FCFA pour celui de capitaine de l’armée Burkinabé ? Selon le porte-parole du gouvernement du Faso, le Chef de l’Etat Ibrahim Traoré a pris cette décision pour « montrer cet esprit de sacrifice qui doit habiter chacun des Burkinabè dans la situation actuelle de notre pays ». Dans le même esprit de sacrifice, les membres du gouvernement ont également décidé de consacrer 50% de leurs salaires du mois de novembre (soit environ 600.000 chacun) à la Caisse nationale de solidarité au profit des personnes en difficulté, notamment les personnes déplacées internes.
Les Maliens ont-ils raison de comparer la situation burkinabé à la leur sur le plan des revenus de leurs dirigeants ? Chez nous la question relève de :

-la Loi N°2012-011 du 24 février 2012 fixant les émoluments et autres avantages accordés au Président de la République :
ARTICLE 2 : Le Président de la République perçoit un traitement hors échelle d’un montant égal à dix (10) fois la moyenne des traitements bruts les plus élevés des fonctionnaires de catégorie A, tous corps confondus.
Ce traitement est soumis à la réglementation fiscale en vigueur. Il n’est pas soumis à la cotisation sociale.
Il bénéficie, en outre, d’une indemnité mensuelle forfaitaire de représentation exonérée de tous impôts et taxes dont le montant est fixé aux trois quarts (3/4) du traitement hors échelle prévu ci-dessus.
ARTICLE 3 : Le traitement du Président de la République est exclusif de toutes autres rémunérations publiques. Cependant, peuvent être cumulées avec le traitement présidentiel, les pensions civiles militaires de toute nature, les pensions allouées à titre de récompense.
ARTICLE 4 : Le Président de la République bénéficie de la gratuité du logement, des fournitures d’eau et d’électricité et du téléphone.
Les domestiques attachés au Palais de la Présidence sont à la charge de l’État.
-et de l’Ordonnance N°02-51/P-RM du 4 juin 2002 fixant le régime des émoluments et indemnités accordés aux membres du Gouvernement.
ARTICLE 1ER : Les membres du Gouvernement et assimilés perçoivent un traitement hors échelle calculé sur la base de l’indice 1.200 de la Fonction Publique. Ce traite- ment est majoré des accessoires de solde prévus par la réglementation en vigueur.
ARTICLE 2 : Les membres du Gouvernement et assimilés ont droit aux indemnités forfaitaires énumérées ci-après :
– indemnités de représentation et de domesticité : 350.000 F CFA ;
– indemnité forfaitaire d’entretien : 250.000 F CFA.
Ces indemnités sont payées mensuellement en même temps que le traitement.
ARTICLE 3 : Les membres du Gouvernement et assimilés bénéficient de la gratuité du logement.
Toutefois, ils prennent en charge leur consommation d’eau, d’électricité et de téléphone à domicile.
(…) ARTICLE 5 : Le traitement, les accessoires de solde et les indemnités perçus par les membres du Gouvernement et assimilés sont assujettis à la réglementation en vigueur, à l’exclusion toutefois des indemnités forfaitaires prévues à l’article 2 ci-dessus.
ARTICLE 6 : Les membres du Gouvernement et assimilés perçoivent, à l’expiration de leur mandat, une indemnité de sortie calculée à raison de trois mois de leur traitement net de Ministre et une indemnité forfaitaire de logement.
Ils seront, en outre, reclassés à l’indice terminal de la catégorie A de la grille indiciaire de la Fonction Publique pour le restant de leur carrière administrative.

L’application des dispositions de la Loi N°2012-011 du 24 février 2012 permet de dire que le président de la République du Mali a un salaire brut à l’engagement de 3.515.521 Franc CFA et une indemnité mensuelle forfaitaire de 2.636.640 FCA soit un salaire brut mensuel de 6.152.162 Franc CFA (Mahamadou Drissa Tangara, président de l’Association Pour le Développement et Human Rights (AD-HR)).
Pour ceux qui est des ministres maliens, chacun sait qu’ils ne sont pas lotis comme Crésus malgré le blingbling de certains. Tandis que leurs homologues burkinabés avaient plus de deux millions de FCFA, nos ministres ne touchent toujours que 951 000F avec les avantages. Et quels avantages ? Les indemnités forfaitaires de 600.000 FCFA prévus par l’article 2 de l’Ordonnance du 4 juin 2002, l’un des dernières prises par Alpha O Konaré avant de céder le pouvoir à ATT, celle «de sortie calculée à raison de trois mois de leur traitement net de Ministre et une indemnité forfaitaire de logement » ou le reclassement «à l’indice terminal de la catégorie A de la grille indiciaire de la Fonction Publique pour le restant de leur carrière administrative » ?
La comparaison chiffrée est de clore le débat. Car le «salaire» n’est qu’une partie des émoluments et avantages accordés aux plus hautes personnalités de l’État. Par exemple les indemnités de représentation, de domesticité et d’entretien (600.000 FCFA) ne font pas partie du salaire de même que le logement. Pour ce qui est du Président de la République le salaire n’est d’aucune commune avec les fonds spéciaux ou fonds de souveraineté du Président de la République. On dit au Mali qu’il est de 150 millions. De combien est-il au Burkina Faso ? Dans le budget de l’Etat 2020 de l’État Burkinabé, le montant des « Fonds spéciaux » pour le Président du Faso et son Premier ministre était de 590 millions FCFA, dont 350 millions FCFA pour le Président du Faso et 240 millions FCFA pour le PM.
La question est : en renonçant à son salaire de président le Capitaine a-t-il jeté un pavé dans la marre du Colonel qui avait lui renoncé à 2/3 de ses fonds de souveraineté au profit des œuvres sociales ? Le silence sur la question rend complexe la réponse. Doit-on tresser des lauriers aux ministres burkinabé pour le renoncement à la moitié du salaire du seul mois de novembre au profit des personnes en difficulté notamment les personnes déplacées internes ? Pour un gouvernement de 23 membres, l’effort de solidarité ne fera moins de 15 millions.
1 719 332 personnes déplacées étaient enregistrées au Burkina Faso au 30 septembre 2022. 60,40% de ces personnes déplacées internes sont des enfants. 708 341 élèves sont affectés par la fermeture de 4258 écoles. Que vaut l’effort ministériel de 15 millions face à cette situation qui s’empire de jour en jour ?
Le Mali est-il bien loti ? Selon le dernier rapport trimestriel du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation au Mali, couvrant la période du 03 juin au 19 septembre 2022 présenté aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU le mardi 18 octobre à New York, sur le plan humanitaire, le nombre de déplacés internes ne cesse d’augmenter, a constaté M. Wane : il est passé de 350 000 à plus de 422 000 dans le centre et le nord du pays, tandis que plus de 175 000 réfugiés maliens se trouvaient dans les pays voisins.
En outre, plus de 1,8 million de personnes sont confrontées à une grave insécurité alimentaire. Ce chiffre pourrait grimper à 2,3 millions d’ici à novembre 2022, a indiqué M. Wane. Plus de 1,2 million d’enfants de moins de 5 ans sont touchés par la malnutrition aiguë. En mai dernier, plus de 1 950 écoles au Mali étaient fermées en raison de l’insécurité, affectant plus de 587 000 enfants, principalement dans la région centrale de Mopti.
Visiblement, les 101 milliards réalisés au plan de réduction du train de la vie ne peuvent combler le gouffre humanitaire. Aussi des deux côtés de la frontière des efforts doivent être faits certes, mais à noter et à le rappeler que la fonction de ministre n’est pas un sacerdoce. Chez nous beaucoup plus qu’ailleurs, elle est hautement sociale. Le misérabilisme ministériel plombe nos équipes gouvernementales. Un ministre qui n’est pas au-dessus des soucis du quotidien (nasongo) ne peut pas être efficace. Un ministre qui ne peut honorer une ordonnance d’un parent n’a pas de base sociale. Il ne s’agit pas de les «gâter» outre mesure, mais de les mettre au-dessus du besoin pour faire leur mission. Car selon l’autre, en Afrique, les problèmes commencent quand tu deviens ministre.

PAR MODIBO KONE

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