Tirant profit de sa propre expérience, d’avoir lui-même échappé à un coup d’État qui avait échoué en provoquant la mort de 11 personnes, le 1er février 2022, le président Umaro Sissoco Embaló de Guinée-Bissau, président en exercice de la CEDEAO, a plaidé pour l’adoption d’une nouvelle force contre la série de coups d’État en Afrique de l’Ouest. C’était au cours d’une réunion en décembre 2022 de ce regroupement régional. Et où il va, c’est le même refrain qu’il entonne comme pour redonner de la voix à son « mentor-souverain », Emmanuel Macron. D’ailleurs, c’est à la fin d’une réunion d’avec ce dernier qu’Embaló a commencé à vulgariser la mise en place de cette force dont une similaire, non opérationnelle existait déjà au sein de la CEDEAO, basée à Abuja.
A l’occasion de la conférence au sommet annuelle à Abuja (Nigeria), le 4 décembre 2022, Embaló a réitéré les mêmes attentes et obtenu l’aval des leaders de la CEDEAO qui ont décidé d’établir une nouvelle force régionale de maintien de la paix pour aider à restaurer la démocratie et l’état de droit en cas de coup d’État. Outre, ces deux missions, la force proposée de la CEDEAO serait également chargée de combattre les organisations extrémistes violentes de la région telles que le Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM) lié à al-Qaïda et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), qui étendent déjà leurs tentacules depuis le Sahel vers les pays côtiers tels que le Bénin, le Togo et le Ghana.
UNE SUCCESSION DE
COÏNCIDENCES
Coïncidence pour coïncidence, tout ce ballet diplomatique intervient au moment où se négociait le dossier des 49 soldats mercenaires jusqu’à leur libération et qui sont déjà prêts à être redéployés par leur mentor, Alassane Ouattara, sur le théâtre des opérations au Sahel. Autre coïncidence, non des moindres, le réchauffement de ce dossier de la nouvelle force de la CEDEAO, dans la foulée de la libération des 49 soldats mercenaires, s’opérait au moment où justement la France pliait bagages du camp près du palais présidentiel de Ouaga pour se retrancher dans une de ses bases au Niger voisin. Et au finish de ces coïncidences qui ne trompent guère, les nombreuses opérations de soutien de la paix de la CEDEAO, y compris les deux moribondes qui existent actuellement en Gambie et en Guinée-Bissau, sont des signes évidents de la politique de la mainmise sur la suite des événements au Sahel.
Il faut noter que la nouvelle force de la CEDEAO intervient dans un contexte bien plus délicat. La restauration de la paix et de l’ordre constitutionnel ne sera pas chose facile pour preuve que cette force de maintien de la paix pourrait créer des difficultés à cause justement des défis majeurs (pas des moindres) qui l’attendent et qui risquent de plomber son opérationnalité :
1- les coups d’état militaires au cours desquels l’on observe le soutien quasi-unanime des autres corps militaires à la cause des putschistes ;
2- la problématique des troisièmes mandats usurpés qui prolifèrent dans la Communauté avec le soutien indéfectible de la France pourvue qu’elle trouve son compte dans le prolongement du mandat du président sortant (deux poids deux mesures);
3- l’opinion publique (Syndicats, Confessions religieuses, Société civile, etc.de certains pays) qui soutient l’emploi de la force pour assurer un nouveau départ de la gouvernance dans le pays ;
4- le risque que la force régionale proposée pourrait être sujette à des attaques violentes en cas de soulèvement populaire ;
5- les problèmes inhérents à un manque de consentement populaire en cas d’intervention de cette force pour restaurer un pouvoir honni par le peuple ;
6- Enfin, la constitution ou le financement de la force (on parle de contributions bénévoles des pays membres comme mécanisme de financement mais) qui ont leurs limites.
DES CAMOUFLETS A LA LIMITE DE L’IMPOSTURE
Il est certes malheureux de constater que le problème des présidents de la CEDEAO, par rapport à cette crise multidimensionnelle du Sahel, est une lecture biaisée des événements sur le terrain et une confiance aveugle en la France et qu’à aucun moment ils ne s’imaginent que c’est l’absence de choix qui fabrique le choix par défaut. Et ce sont ces choix opérés qui se sont transformés en camouflets pour revenir à leur figure comme un boomerang :
– Camouflet pour Macron qui perd un « bon, riche, loyal et serviable » partenaire qu’est le Mali que la France a ruiné et sucé le sang jusqu’à la moelle et que ce dernier la met aux piloris devant le monde entier au Conseil de sécurité pour avoir entraîné, armé, soutenu et financé les groupes terroristes qui ont causé terreur et désolation au Mali ;
– Camouflet pour Alassane D. Ouattara (ADO) et les autres présidents de la CEDEAO qui ont voulu pourfendre le bien-fondé du soulèvement populaire du peuple malien et dont l’attitude n’a rien d’intérêt que de défendre leurs mandats ou briguer un troisième avec la bénédiction de la France. L’attitude outrancière de Macron leur a fait perdre tout crédit et sont tous rentrés dans leurs petits souliers après le discours du Premier Ministre par Intérim, le Colonel Abdoulaye MAIGA, à la tribune des Nations-Unies ;
– Camouflet pour ADO qui a voulu piétiner le succès de la diplomatie togolaise dans la résolution du dossier des 49 soldats mercenaires. La roublardise, le mensonge, la provocation ont été employés pour entraver la diplomatie togolaise, qui a été renforcée (malheureusement pour ADO) par les bonnes dispositions des autorités de la Transition malienne ;
– Camouflet pour ADO (encore) qui n’a daigné prononcer dans son discours d’accueil des soldats mercenaires à l’aéroport d’Abidjan pas une fois le nom du président de la Transition, le Colonel Assimi, pourtant auteur de la grâce accordée à ce qu’il a appelé « la fierté nationale de la Côte d’Ivoire», (comme si le ridicule ne tue pas) ;
– Camouflet pour la CEDEAO qui perd complètement sa face en tant qu’organisation sous-régionale œuvrant pour la paix et le développement des pays qui la composent avec un président déshonorant et irrespectueux des principes des peuples à s’auto-déterminer. Et les conséquences sont énormes pour la CEDEAO qui voit d’autres pays comme le Burkina Faso emprunter la voie du Mali ;
– Camouflet pour les ennemis du Mali qui ont vilipendé sa souveraineté mais que celle-ci a été restaurée par la Transition à travers les trois principes qui guident désormais l’action publique en République du Mali et que tout partenaire désormais devrait tenir compte:
– le respect de la souveraineté du Mali ;
– le respect des choix stratégiques et des choix des partenaires opérés par le Mali ;
– la prise en compte des intérêts du peuple malien dans les prises de décisions.
Ainsi, face à ces camouflets à la limite de l’imposture, comme pour tirer les conséquences et masquer le désaveu encouru par Macron, ADO et leurs ouailles de présidents de la CEDEAO, les ministres de la défense de l’organisation sous-régionale prévoient-ils de se réunir en ce mois de janvier pour « considérer la structure de la force ». Omar Alieu Touray de Gambie, président de la Commission de la CEDEAO, a déclaré que les ministres pensent « développer un plan au second semestre 2023 pour créer la force ». Quel est donc ce plan ?
QUID DES « 49 » ET LE PLAN DE (DE)STABILISATION ?
Il faut rappeler que les 49 soldats mercenaires avaient été arrêtés à l’aéroport international Modibo Kéita Senou de Bamako et inculpés pour « des faits de terrorisme et d’atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat du Mali ». Après plusieurs ballets politico-diplomatiques, ils ont recouvré la liberté, le 6 janvier 2022 après plus de 6 mois de détention.
Ayant partagé quelques moments de joie et de bonheur avec leurs familles, « les 49 », sur instruction du président Alassane Ouattara, ont quitté Abidjan pour la cité balnéaire Assinie. Ils ont reçu, le 10 janvier 2023, la visite du ministre d’État, Ministre de la Défense Téné Birahima, qui a fait des révélations sur leur séjour et leur état d’âme. Selon lui, ils sont pris en charge par les spécialistes en « réarmement moral de l’armée » de Côte d’Ivoire et sont « en pleine forme ».
Depuis la libération des 49 soldats mercenaires, l’on ne doit guère s’étonner de l’intense activité diplomatique déployée entre la Côte d’Ivoire, la CEDEAO et la France en vue d’organiser la prochaine rencontre de l’organisation sous-régionale pour l’établissement de la force de la CEDEAO. De sources sécuritaires de l’Organisation, Alassane Ouattara, pour éviter le sort qui a été réservé aux soldats de Barkhane (difficile et troublante errance à travers le Sahel avant de trouver un point de chute), aurait demandé et obtenu que l’ossature de la nouvelle force doit reposer sur les 49 soldats mercenaires. En d’autres termes, ces soldats mercenaires (la plupart étant des forces spéciales) seront redéployés dans la nouvelle force et seront appuyés par Barkhane et quelques pays qui accepteront d’y envoyer les leurs pour « empêcher les coups d’Etat, aider à restaurer la démocratie et l’état de droit et maintenir la paix ».
Une force de stabilisation ou de déstabilisation ? A chacun son commentaire, mais une chose est claire, on a beau créer des forces même dans les palais présidentiels, les présidents soucieux de préserver leurs intérêts au détriment de ceux du peuple, les présidents motivés par un troisième mandat auront toujours derrière eux des militaires patriotes pour répondre aux aspirations de leur peuple. Mieux, on se demande comment cette nouvelle force sera différente de ce qui existe déjà, et pourquoi à ce stade il est nécessaire d’en créer une plutôt que d’employer celle en attente ou d’autres mécanismes existants.
A regarder de près, il y a là des non-dits qui trouvent leur résonnance chez ADO qui veut s’incarner en Charles Quint à l’africaine. Le Colonel Assimi est-il donc ce fameux François 1er qui veut compromettre son plan ? L’on ne saurait le dire, mais l’incongruité a ses limites politiques et les autorités maliennes de la Transition doivent comprendre que cette détente diplomatique observée après la libération des « 49 » ne doit pas faire perdre de vue l’obsession qu’a toujours eu le président ivoirien de punir les régimes issus des coups d’état même si le sien en est un avec la bénédiction de la France. ADO est au service des multinationales et rien ne va l’arrêter et il ne va jamais renoncer à ses desseins machiavéliques. Derrière chaque main-tendue, c’est un piège qu’il prépare. A la Transition d’être vigilante. « Pays frères » ; « petites incompréhensions entre deux pays frères», de ces mots d’apaisement de circonstance, le Colonel Assimi et ses camarades doivent comprendre qu’ils ont comme interlocuteur en face, un président nombriliste. L’orgueil, l’honneur et la facétie ont toujours poussé Alassane D Ouattara à se comporter comme un trouble-fête dont le génie est d’être insupportable et imprévisible. Sous l’effet de l’histoire, il a le don de transformer les vices politiques en vertus.
Mohamed SACKO