Le rapport 2021 du Bureau du vérificateur général, remis au Président de la transition la semaine passée décèle des irrégularités financières dans la gestion des fonds COVID-19 qui s’élèvent à 50,733 milliards de FCFA. Le rapport souligne que des gestionnaires se sont octroyé des avantages indus, ont payé des dépenses inéligibles, irrégulières et fictives, réglé des marchés publics, sans l’acquittement des droits d’enregistrement et de la redevance de régulation et utilisé de faux contrats et de fausses factures pour justifier des opérations de dépenses. Le Vérificateur a estimé qu’une attention particulière doit être accordée à la gestion du fonds COVID-19 où, la mauvaise utilisation des ressources publiques n’a pas certainement contribué à mieux lutter contre cette pandémie.

La mauvaise gestion de ce fonds nous rappelle les années 1973-1974, avec la grande sécheresse qui a frappé notre pays. Lors de cette grande famine dont le souvenir est un calvaire inoubliable pour les populations Maliennes, le monde entier s’est porté au secours du Mali, en mobilisant des aides alimentaires. Cette catastrophe avait été l’occasion pour certains cadres du pays de s’enrichir de façon illicite. À l’époque, des responsables de haut niveau ont été soupçonnés d’avoir détourné des quantités importantes de ces dons à des fins personnelles et ont construit des villas, autrement appelées « les châteaux de la sécheresse ».

Le rapport informe que le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Mali (CCIM) a effectué des dépenses d’acquisitions de masques sans marché. Dans le cadre du programme présidentiel « Un Malien un masque », il a attribué, sans marché, six (6) lots d’acquisitions de masques à des sociétés étrangères pour un montant total de 9,462 milliards de FCFA. Aussi, a-t-il autorisé le paiement de marchés, sans l’acquittement des droits d’enregistrement et de la redevance de régulation. Les titulaires de marchés de fournitures de 20 millions de masques de protection, dans le cadre du programme présidentiel « Un Malien un masque », n’ont pas payé les droits d’enregistrement et la redevance de régulation pour un montant total de 378,09 millions de FCFA.

Quant au Directeur général du Fonds de Garantie du Secteur Privé (FGSP), il n’a pas respecté les exigences de reddition des comptes conformément aux dispositions de la convention de gestion du fonds COVID-19. De même, il n’a pas fourni au département de l’Économie et des Finances les rapports trimestriels d’utilisation détaillés des fonds accordés et les reporting.
Par ailleurs, le Directeur du FGSP a reçu de l’État, entre le 17 décembre 2020 et le 10 mai 2021, un montant total de 20 milliards de F CFA destinés au financement de la garantie des crédits bancaires en faveur des PME/PMI pour une durée de deux ans, au cours de laquelle période, il n’a traité que les dossiers de garantie de trois (3) entreprises sur les 2 000 prévues. Aussi, le Directeur du FGSP a signé des Conventions de Dépôts à Terme (DAT) à hauteur de 13,500 milliards de FCFA avec les établissements financiers ; soit un reliquat de 6,500 milliards de FCFA non encore utilisé.

Le Coordinateur du Projet « Jigisemejiri » n’a pas versé le reliquat du fonds COVID-19 non utilisé. Il a reçu du Trésor Public un montant total de 39 milliards de FCFA dans le cadre du programme de Transfert Monétaire d’Urgence à l’endroit des ménages les plus pauvres et vulnérables du Mali pour répondre aux effets de la COVID-19. Sur ce montant, il a dépensé 8,902 milliards de F CFA dans le traitement et le transfert aux ménages ciblés ; soit un reliquat de 30,097 milliards de FCFA non encore utilisé.
Le rapport reproche au Coordinateur du Projet « Jigisemejiri » d’avoir effectué des dépenses indues. Le rapport souligne qu’il a dépensé un montant de 25,20 millions de FCFA au titre des frais de transport des membres du Comité de Pilotage et du Comité Technique de Coordination alors que ce projet existait depuis 2013 avec son budget de fonctionnement propre.

Le Régisseur Spécial d’Avances du Ministère des Maliens de l’Extérieur a utilisé de faux contrats et de fausses factures pour justifier des sorties d’argent pour un montant total de 344,04 millions de F CFA. Les bénéficiaires mentionnés sur les documents de paiement n’ont pas reconnu les contrats et les factures émis en leur nom et n’ont pas, non plus, perçu les décaissements correspondants. Par ailleurs, il a justifié auprès du Payeur Général du Trésor, le règlement de la facture fournisseur l’Hôtel Micasa, d’un montant de 58,93 millions de FCFA TTC, alors que ledit fournisseur n’a perçu aucun paiement.

Le Régisseur d’avances du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile a fourni de fausses factures d’acquisitions de carburant pour un montant de 48,01 millions de FCFA, lesquelles n’ont pas été reconnues par les stations-services censées les avoir délivrées. Il a payé la totalité de la facture n°15-KSF 2020 relative au contrat n°01/COV/CPMP/MSPC 2020 portant fourniture de matériels de protection contre la COVID-19 alors que tous les produits n’ont pas été livrés. Il existe un écart de 7 500 masques entre le bordereau de livraison qui mentionne une quantité de 5 000 unités et le PV de réception qui est signé avec 12 500 unités. Le montant des 7 500 masques non livrés s’élève à 7,08 millions de FCFA. Le montant total des dépenses indues s’élève à 55,09 millions de FCFA. 124

Le Directeur Général et le Directeur Commercial de la société EDMSA ont facturé à l’État plus que la consommation d’énergie accordée en gratuité. Le montant de 7,289 milliards de FCFA, réglé par le Trésor Public pour la prise en charge des remboursements du coût de la facturation des consommations d’électricité, suite à l’application des mesures de riposte contre la COVID-19 pour les mois d’avril et de mai 2020 au titre de l’exercice budgétaire 2020, a été payé sur la base d’une prévision.
À la fin de la période de gratuité, il a été souligné que 93 045 clients n’ont pas bénéficié de cette mesure au titre des mois d’avril et de mai 2020 pour un montant de 760,18 millions de FCFA. Ce montant qui correspond au coût de la quantité d’électricité non fournie dans le cadre de la gratuité par la société EDM-SA aurait dû être reversé au Trésor Public.

Le Directeur Administratif et Financier et le Régisseur Spécial d’Avances de la Primature ont irrégulièrement justifié des dépenses d’hébergement et de restauration des Maliens rapatriés de Tunisie pour un montant de 202,80 millions de FCFA. Ils ont fourni les listes des personnes hébergées en l’absence des informations essentielles telles que le domicile, la date et le lieu de naissance ou la profession des personnes rapatriées.
De plus, il n’existe pas de traçabilité desdites dépenses à travers les demandes de paiement adressées à la DAF/Primature par les établissements hôteliers. Il n’existe pas, non plus, de trace des comptes bancaires ayant reçu lesdits paiements.
Des Chefs de Centres des Impôts ont minoré le droit d’enregistrement et la redevance de régulation payés sur des marchés conclus par l’OPAM. Ils ont utilisé, comme base de calcul des droits d’enregistrement et de la redevance de régulation, le montant des marchés conclus-en hors taxe et diminué de la TVA. Le montant total de ces irrégularités s’élève à 27,38 millions de FCFA dont 24,25 millions de FCFA au titre des droits d’enregistrement et 3,13 millions de FCFA au titre des redevances de régulation.
Le Président Directeur Général de l’OPAM a autorisé, en 2020, le paiement de quatre (4) marchés de fourniture de céréales et d’aliments bétail, sans l’acquittement de la redevance de régulation.
De plus, deux (2) desdits marchés n’ont pas été enregistrés auprès des services des Impôts. Le montant total de ces irrégularités s’élève à 20,73 millions de FCFA comprenant 2,96 millions de FCFA au titre de la redevance de régulation et 17,77 millions de FCFA au titre des droits d’enregistrement.
Le Directeur Général de l’Institut National de Santé Publique (INSP) a autorisé le paiement de 300 000 FCFA de perdiems, par mois, aux membres de la coordination, de la commission et sous-commission technique, aux superviseurs, sans que cela ne soit lié à des missions de terrain.
De plus, ce taux de perdiems est supérieur à la prime spéciale COVID-19 de 207 500 FCFA accordée aux personnels en service au Ministère de la Santé et du Développement Social et au Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile. Le montant des per diem indûment payés s’élève à 129,57 millions de FCFA. Il a également autorisé le paiement de frais de communication indus à 16 agents volontaires et à 31 agents de l’INSP pour un montant de 15,06 millions de FCFA. Le montant total des dépenses indues s’élève à 144,63 millions de FCFA.
Les Médecins Chefs et Comptables des CSRéf des Communes I, II, III, IV, V et VI du District de Bamako ont payé à sept (7) agents des perdiem au taux de 10 000 FCFA en l’absence d’ordres de mission pour les samedis, dimanches et jours fériés au cours des mois d’avril, mai, août, septembre, octobre, novembre et décembre 2020. Le montant total de ces irrégularités s’élève à 29,40 millions de FCFA.
Le Directeur Général de l’Hôpital du Mali a autorisé le paiement d’avantages indus sur le fonds COVID-19. Il a payé, sur la base des prévisions ou programmations de garde, des primes d’astreintes et de garde au personnel fonctionnaire, notamment le Coordinateur, des membres de la cellule technique et de l’Administration de l’hôpital pour leur implication dans la gestion de la pandémie de COVID-19 pour la période de mars à décembre 2020. Il n’a pas fourni les preuves de l’effectivité des prises de garde. Le montant total de ces irrégularités s’élève à 53,41 millions de FCFA.

Le Directeur Général du CHU du Point G n’a pas justifié l’utilisation du montant de 20,25 millions de FCFA du mandat de paiement n°1000 du 10 décembre 2020 relatif à la fourniture de carburant destiné au personnel traitant, à la commission technique, à l’ambulance, au groupe électrogène et autre moyen de déplacement, dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, pour la période allant du 1er octobre au 31 décembre 2020. Il a également payé aux membres de l’équipe d’appui administratif un montant indu de 4,07 millions de FCFA à titre d’indemnités forfaitaires. Le montant total des irrégularités est de 24,32 millions de FCFA.

Le Directeur Général du CHU Gabriel TOURE a autorisé le paiement des dépenses irrégulières sur le fonds COVID-19. Il a payé aux 12 chefs de département de l’hôpital le montant de 21,81 millions de F CFA au titre des « primes doubles » de garde et de forfait d’astreinte aux membres du Comité COVID-19 pour la période allant du 4 mai au 2 octobre 2020, à raison de 10 000 FCFA par jour. Par ailleurs, il a aussi dépensé le montant de 78,74 millions de FCFA du mandat de délégation n°3159 portant prise en charge des primes de garde dans le cadre de la prévention et la riposte contre la pandémie de la COVID-19 pour une période de cinq (5) mois, pour payer les primes de garde des autres unités de l’Hôpital. Le montant total des irrégularités est de 100,55 millions de FCFA.

Le Directeur Général du Centre de Recherche et de Lutte contre la Drépanocytose a autorisé le paiement des dépenses irrégulières sur le fonds COVID-19. Il a autorisé le paiement de la somme de 3,15 millions de F CFA pour la prise en charge de 10 membres du comité de crise pour la gestion des catastrophes et des épidémies 126 dudit centre pendant la période allant d’avril à septembre 2020 soit six (6) mois. Il a aussi payé le montant de 750 000 FCFA à titre d’appui à trois (3) agents du centre qui ont été testés positifs à la COVID-19. Le montant cumulé des irrégularités est de 3,90 millions de FCFA.

Le Directeur Régional et le Comptable de la Direction Régionale de la Santé de Kayes ont utilisé de fausses pièces comptables pour justifier des dépenses. Ils ont présenté des ordres de mission à titre de pièces justificatives des indemnités de déplacement alors que les personnes qui y sont mentionnées ont régulièrement émargé dans le registre de présence de la Direction Régionale pendant les périodes présumées de la mission. De plus, deux (2) chauffeurs dont les noms figurent sur lesdits ordres de mission ne font pas partie du personnel de la Direction Régionale. Le montant total des dépenses indues s’élève à 4,81 millions de FCFA.
Le Directeur Général et le Comptable de l’Hôpital de Kayes ont effectué des dépenses irrégulières sur le fonds COVID-19. Ils n’ont pas pu fournir les pièces justificatives de l’utilisation des carburants achetés. Ils ont aussi payé, sur le fonds COVID-19, les frais de trois (3) mois de gardiennage des locaux de l’Hôpital alors que le contrat y afférent a été conclu et imputé sur le budget de fonctionnement de l’Hôpital. Le montant total des dépenses indues s’élève à 18,99 millions de FCFA.
Le Directeur Général et le Comptable de l’Hôpital de Kayes ont effectué des dépenses indues. Ils ont effectué des décaissements irréguliers au titre des frais de transport des agents de garde pour un montant de 9,47 millions de FCFA. Le DG a autorisé le paiement, à la demande du Coordinateur du site COVID-19, des frais de garde à des personnes dont les noms ne figurent pas dans le registre de garde de l’Hôpital et à des taux journaliers différents des taux normaux applicables pour un montant de 9,69 millions de FCFA. Il a aussi passé, le 31 mai 2020, le contrat n°21 HFD-DG d’un montant de 1,99 million de FCFA relatif à l’alimentation du personnel de garde et malades COVID-19 pour la période de janvier à mars 2020 alors que les premiers cas de la COVID-19 ont été identifiés à Kayes, le 21 mars 2020. Le montant total des dépenses indues s’élève à 21,16 millions de FCFA.

La liste des irrégularités financières décelées est loin d’être exhaustive, car les médecins-chefs et les comptables de plusieurs centres de santé ont effectué des dépenses indues. Le montant total des irrégularités financières s’élève à 50,733 milliards de FCFA.
Il est déplorable de constater que le fonds COVID-19 constitue une source d’enrichissement illicite pour certains responsables sans vergogne. Cette pratique honteuse nous rappelle les années 1973-1974, avec la grande sécheresse qui a frappé notre pays.
Donc, après les châteaux de la sécheresse, place aux châteaux de la COVID-19 ?
Nous espérons que ce ne soit pas le cas. En tout cas, en recevant le rapport, le Président de la transition a promis des actions décisives. Et nous espérons croire que la justice fera en sorte que les coupables remboursent l’agent du contribuable.

PAR MODIBO KONÉ

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